Un délai de 5 jours, tel est l’ultimatum lancé par le premier ministre Gervais Ndirakobuca à l’endroit de l’ANAGESSA, l’Agence Nationale de Gestion du Stock Stratégique Alimentaire, pour solder tous les impayés que cette agence gouvernementale doit aux cultivateurs de maïs. Le chef du gouvernement burundais a, de par ses propos, insinué que les justifications fournies par les responsables de l’ANAGESSA ne sont pas du tout fondés.
L’annonce de la nouvelle campagne d’achat de la production du maïs par l’ANAGESSA est tombée au mois de février 2024. Une fois au courant, les cultivateurs ont aussitôt alerté, car ils craignaient d’être encore une fois arnaqués par le gouvernement, à travers l’ANAGESSA comme ce fut le cas l’année dernière. Et le temps leur a donné raison car ce qu’ils craignaient a fini par arriver. En effet, la plupart d’entre eux n’ont toujours pas reçu l’argent issu de la vente de leur récolte de maïs. Raison pour laquelle cette question a été posée au porte-parole du ministère de l’agriculture et de l’élevage lors d’une émission des porte-paroles des institutions animée le 29 mars de cette année au chef-lieu de la province Karusi. Clément Ndikumasabo a, ce jour-là, essayé tant bien que mal, de justifier les raisons à l’origine de cette situation. « La seule raison que nous pouvons donner, c’est que la récolte a dépassé nos attentes, car les cultivateurs se sont beaucoup investis et ça a payé. Malheureusement, le budget prévu pour l’année 2023-2024 était largement inférieur et n’a pas suffi à cause justement de cette surproduction. »
Cette réponse n’a pas du tout convaincu le premier ministre. Dans une réunion avec les cadres des institutions concernées par l’agriculture tenue ce 08 avril, Gervais Ndirakobuca s’en est plutôt pris au ministère de l’agriculture et à l’ANAGESSA qui, selon lui, ne maîtrisent apparemment pas bien en quoi consiste leur travail. Et le premier ministre de leur rappeler ce à quoi ils sont appelés. « Le gouvernement est en train d’acheter la production interne du maïs. Ne prenez plus comme prétexte que vous avez cultivé votre maïs en Tanzanie. Si c’est réellement le cas, allez vendre votre production en Tanzanie même. Vous, administratifs et responsables du secteur agricole, êtes très bien au courant de tout ce qui est en rapport avec les superficies cultivées ainsi que les propriétaires de ces champs de maïs. On ne peut pas acheter leur soi-disant récolte, de tout ce monde qui profite de la pauvreté des agriculteurs afin de les arnaquer. »
Ces personnes qui profitent de la précarité des cultivateurs sont en fait les commerçants. Un fait que le porte-parole du ministère de l’agriculture a également reconnu. Et Clément Ndikumasabo de les rappeler à la raison en leur intimant l’ordre de se conformer au prix officiel fixé par le gouvernement. « Je voudrais faire un clin d’œil aux commerçants qui raflent la production de la population pour des miettes. Qu’ils se ressaisissent ou qu’ils se retirent s’ils ne peuvent pas respecter les prix fixés par le gouvernement. » A–t-il fait un clin d’œil aux commerçants en général, et à ceux qui spéculent en particulier.
De son côté, le chef de la primature a fustigé ces supplications du ministère de l’agriculture et a plutôt mis en garde tout commerçant qui s’impliquera désormais dans l’achat de la récolte du maïs de la population. « Pour arriver au chiffre de 1 700 BIF par kilo de maïs, on a pris en compte le coût de la production. C’est pour cela que cet argent est destiné aux cultivateurs et non aux commerçants. Que je n’entende plus parler des gens qui viennent vendre du maïs alors qu’ils n’ont rien cultivé pour récolter une quelconque production. Seul le maïs des cultivateurs avérés est concerné. La police doit nous aider à confisquer tout le maïs entré clandestinement à partir des pays voisins. Et vous les administratifs et responsables du secteur agricole, sensibilisez la population afin de l’empêcher à vendre au rabais leur production. Vous devriez aussi sanctionner sévèrement tous ces spéculateurs. »
Quant aux plaintes des cultivateurs qui n’ont pas encore reçu leur argent issu de la vente du maïs, le ministre Ndirakobuca a donné un ultimatum de cinq jours maximum à l’ANAGESSA pour régulariser tous ces agriculteurs. « Tout l’argent que l’ANAGESSA reçu doit d’abord servir à éponger toutes ses dettes. Après cela seulement, le ministère des finances votera un autre budget. Mais évitons de nous mettre dans de telle situation. Débrouillez-vous pour régulariser tous les cultivateurs d’ici 3 ou 4 jours. Au plus tard vendredi, je veux que tout ça soit déjà réglé. Tous ces 26 milliards doivent servir à cette fin. »
Le vendredi en question est ce vendredi 12 avril.
Les cultivateurs paient les pots cassés de cet amalgame
Les grognes fusent de partout concernant les irrégularités observées dans l’achat du maïs de la population par l’ANAGESSA. A titre illustratif, en province Ngozi, les revendications sont multiples. Premièrement, les agriculteurs font savoir qu’ils n’ont été payés que sur la moitié de la récolte déposée. Deuxièmement, même le prix officiel fixé par le gouvernement n’a pas été respecté, comme en témoigne cet habitant de la commune Busiga. « Vendredi, nous avons été très étonnés. Ceux qui étaient là-bas nous ont qu’ils leur ont donné la moitié. Imaginez-vous par exemple celui qui a donné 100kg et qui n’a été payé que l’équivalent de 50 Kg. Ils leur ont ensuite dit que la suite leur sera communiquée sans toutefois leur donner un quelconque rendez-vous. De plus, on leur a donné 1 200 BIF par Kilo alors que le prix officiel est de 1 700 BIF. Et cela fait trois semaines que l’ANAGESSA a collecté ce maïs. »
A Kirundo, c’est presque le même refrain sauf que là-bas au moins, les prix ont été respectés malgré que les lamentations ne manquent pas. « Il est vrai qu’on a reçu 1 700 BIF par Kilogramme de maïs. Mais le problème est qu’on n’avait droit qu’à la moitié de la récolte donnée, c’est-à-dire que celui qui avait donné 100 kilos était payé seulement pour 50, et celui qui a donné 200 kilos ne recevait que l’équivalent de 100 kilos uniquement.’’
Frustrés et révoltes par ce désordre et ces magouilles, les cultivateurs demandent de recevoir la totalité du montant équivalent à la production vendue. Au moment où l’ANAGESSA leur a fait savoir que la première tranche est considérée comme clôturée pour ceux qui ont déjà reçu une partie de la vente de leur récolte, les cultivateurs de la commune Busiga demandent quant à eux au gouvernement de les rétablir dans leurs droits, car ils ne s’expliquent pas comment une institution étatique peut acheter leur récolte à des prix différents.
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Photo : Gervais Ndirakobuca, premier ministre de la République du Burundi