RPA : Emmanuel KLIMIS, vous êtes expert en droit international et vous suivez de près l’évolution de la crise burundaise. Quel est votre point de vue sur l’attitude de la communauté internationale dans la résolution de cette crise burundaise ?
E.K : La première chose que je dirais, c’est que, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une action visible que l’action est inexistante. Il existe pour l’instant, et c’est quelque chose de constant depuis la crise de 2015 et même avant ça, il existe une volonté constante de la part des partenaires internationaux du Burundi et de la communauté internationale, de jouer un rôle pour éviter les dérapages. Il y a beaucoup de choses qui se passent au niveau diplomatique, par exemple il y a des sanctions individuelles qui frappent une série de responsables politiques et administratifs au Burundi, et pas uniquement les petits poissons comme on dit.
Alors, le problème est que, cette communauté internationale, au-delà de ces actions dont je viens de parler, elle est quand même relativement limitée dans ses possibilités d’action. Elle est relativement paralysée, et c’est de sa faute. C’est sa responsabilité parce que finalement ce sont ses propres règles, ses propres structures qui la contraignent. Il existe bel et bien, en droit international, une obligation de résolution pacifique des conflits. Elle est inscrite aux articles 2 paragraphe 3 et paragraphe 4 de la charte des Nations Unies qui, un peu plus loin dans le texte, fixe également les moyens de résolution de ces conflits. Ce sont des conflits qui sont pensés pour être résolus exclusivement à l’échelle internationale parce que la charte des Nations Unies, il faut s’en souvenir, elle date du lendemain de la seconde guerre mondiale, et donc d’un cadre de conflit inter étatique.
En d’autres termes, toute l’architecture de sécurité internationale qui est valable depuis la fin de la seconde guerre mondiale et qui reste valable aujourd’hui dans le cadre des Nations Unies repose sur une vision des relations entre les Etats. Or, la crise qui fait rage aujourd’hui au Burundi n’est pas un conflit entre deux Etats souverains. Elle repose donc essentiellement sur deux éléments clés, à savoir la souveraineté des Etats et le consentement. Et c’est au nom de cette souveraineté des Etats que des membres permanents du conseil de sécurité comme la Russie et la Chine en particulier ont systématiquement tendances à refuser toutes les résolutions qui mettraient à mal ou qui menaceraient la souveraineté d’un Etat en vertu d’une volonté interventionniste qui est parfois qualifiée d’impérialiste. Et c’est en raison de cette place première de néo consentement qu’il n’y a pas eu de suite à la résolution du conseil de sécurité qui exigeait le déploiement d’environ 250 policiers internationaux au Burundi, il y a de cela quelques mois.
Ensuite, il y a le fait que même s’il existe une obligation internationale de régler pacifiquement les différends internationaux, il y a une obligation de rester dans une façon pacifique de régler les différends, quand on décide de les régler, mais il n’y a pas nécessairement l’obligation de les régler tous. Et c’est évidemment quelque chose qui est extrêmement bien compris par toute une série d’Etats qui sont dans une situation de tension, qui font face à des contestations populaires, de fermeture de l’espace public, de violations massives des droits de l’homme sans pour autant entrer dans un conflit armé puisque c’est à ce niveau là que se situe la différence.
Et je dirais que, à l’échelle du Burundi, il y a une véritable confiance de cette situation parce que, en dépit de tout ce qui peut exister comme dénonciation et malgré l’ouverture imminente d’une enquête par le bureau du procureur de la cour pénale internationale, il ne se passe pas grand-chose. Il y a donc un respect superficiel des formes, il y a des commissions qui sont créées, il y a des mandats d’arrêt qui sont émis, il y a des déclarations publiques, il y a des discussions qui sont mises en place etc. Mais ça ne va jamais plus loin. Et c’est pour cela qu’on se retrouve dans une impasse. Bref, il n’existe pas de cadres internationaux qui contraignent les Etats dans l’exercice de leur souveraineté. Personne n’a envie de remettre massivement en question l’exercice de la souveraineté nationale.
Et pour pouvoir se passer du consentement de l’Etat dans le cadre d’une intervention internationale face à une situation de crise, il faut qu’on puisse établir l’existence d’une menace contre la paix ou la sécurité internationale. Et ça ouvre la compétence du conseil de sécurité à ce moment là pour intervenir dans ce type de cadre. Mais le problème c’est que le conseil de sécurité est bloqué pour des raisons politiques, et ça limite largement ses possibilités.
RPA : Est-ce que, malgré toutes ces lois contraignantes, la communauté internationale n’avait pas d’autres moyens de persuasion pour limiter les dégâts à défaut de les arrêter ?
E.K : Tout d’abord, je dirais que la communauté internationale a tardé à agir. Elle aurait pu agir plutôt. Elle aurait dû agir plutôt. Elle disposait de leviers pour éviter que les violations massives des droits de l’homme qui sont devenues la norme au Burundi puissent s’arrêter. Il y avait un levier important qui existait, à savoir le financement des troupes burundais qui participent à la mission des Nations Unies en Somalie, l’AMISOM. Mais on s’est contenté d’une solution de façade qui ne touche finalement pas au système de rente qui est associé à ce financement.
Il y a des pressions plus fortes qui pourraient être menées par la communauté internationale sur les différents canaux de soutien politique, financier, diplomatique au régime actuel au Burundi si on veut faire cesser les violations des droits de l’homme. Si on parvient à objectiver l’existence de crimes contre l’humanité, ça ouvre une possibilité plus importante de réaction via le conseil de sécurité des Nations Unies à travers un mécanisme qui est celui de la responsabilité de protéger en vertu duquel un Etat a l’obligation de protéger sa population contre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide.
Mais le problème, c’est qu’il n’y a personne qui se lève pour défendre les droits de l’homme et les libertés individuelles et collectives aujourd’hui au Burundi. Il n’y a pas un Etat qui joue le champion sur la scène internationale de cette crise qui, je suis désolé de le dire aussi platement, n’intéresse personne parce que ce n’est pas le Congo, parce que ce n’est pas le Soudan ou la Somalie, parce que ce n’est pas la Syrie. Si cette crise doit pouvoir faire l’objet d’une attention internationale plus forte, ça exige qu’il y ait un Etat ou un groupe d’Etats qui porte ce dossier et qui lui donne une visibilité sur la scène internationale. Le Burundi est isolé, et c’est cet isolement qui rend l’intervention de la communauté internationale inefficace dans la crise ou en réponse aux violations des droits humains au Burundi.