La CVR « devrait être suspendue !» Société civile, experts et politiciens insistent
La désignation de Pierre Claver Ndayicariye à la tête de la Commission Vérité Réconciliation (CVR) visait une mission claire. Les acteurs de la société civile, les politiques convergent sur ce point. L’ancien président de la CENI n’était pas l’homme de la situation. Le travail de la CVR sous sa direction risque d’attiser la haine ethnique. Plusieurs voix burundaises demandent que le travail de cette commission soit plutôt suspendu.
En huit ans de mission, la Commission Vérité Réconciliation a déjà publié son premier rapport. Mise sur pieds pour enquêter sur les crimes qui ont endeuillé le Burundi depuis 1885 jusqu’en 2008 (Loi n°1/022 du 6 novembre 2018 portant création, mandant, composition, organisation et fonctionnement de la Commission Vérité et Réconciliation), la CVR a débuté par la crise de 1972. ‘’La période la plus emblématique de l’histoire ensanglantée du Burundi post colonial’’, explique la CVR sur la page 48 du résumé exécutif du rapport d’étape de décembre 2021.
Débuter par les évènements de 1972 a prouvé la mission dangereuse assignée à la commission, déplorent des acteurs de la société civile et des politiques. La CVR manque d’experts nécessaires pour rendre un résultat scientifique digne de cette qualification, dénoncent les scientifiques et experts du domaine de la justice transitionnelle.
‘’La CVR est un département du CNDD-FDD’’
La Commission Vérité Réconciliation est accusée de travailler pour le solde du parti CNDD-FDD. A propos de l’hypothèse qu’elle serait instrumentalisée par le parti au pouvoir de peur de devoir répondre des crimes commis par les rebelles du FDD aujourd’hui au pouvoir, Alexis Sinduhije, président du parti MSD, répond :’’Le Burundi a de graves problèmes liés à son passé douloureux. Du sang a été versé, plusieurs familles endeuillées. C’est très délicat. Pour résoudre le problème, nous devons dépasser nos peurs et intérêts personnels. Un dirigeant doit mettre de côté ses intérêts et œuvrer pour l’intérêt général.’’
Alexis Sinduhije aligne la CVR sur la liste des différents départements du parti au pouvoir le CNDD-FDD. Un outil de propagande de ce parti, dit-il.
La CVR, une alternative au manque de projets politiques
Léonidas Hatungimana, président du parti PPD-Girijambo également ancien membre du parti CNDD-FDD rejoint Alexis Sinduhije pour qualifier la CVR d’outil de propagande du parti CNDD-FDD. L’ancien porte-parole du président de la République Pierre Nkurunziza explique un peu plus.
‘’Le CNDD-FDD n’a aucun projet qui l’aiderait à être reconduit à la présidence du pays en cas d’élections libres et transparentes. Ils n’ont que la seule option de manipuler la corde ethnique pour garder l’électorat Hutu qui est le plus grand.’’
Le président du parti PPD-Girijambo avertit les burundais surtout de l’ethnie Hutu que la mission de la CVR actuelle n’est pas de leur apprendre la vérité sur leur pays et d’aider à la réconciliation de la société burundaise. Selon Hatungimana, CVR agit pour des fins électorales.
‘’Pierre Claver Ndayicariye, un acteur de la crise burundaise’’
Dans un communiqué conjoint du 28 juin lors de la mission de la CVR en Belgique, une dizaine d’organisations de la société civile burundaise désavoue la personne de Pierre Claver Ndayicariye, président de la CVR depuis 2018. Alors qu’à Arusha, les participants aux négociations se sont convenus que la commission devrait être confiée à un groupe inspirant confiance, son président est contesté par plusieurs burundais.
Pour Vital Nshimirimana qui s’est exprimé au nom de 19 organisations, Pierre Claver Ndayicariye n’est pas l’homme de la situation vu le résultat de ses deux dernières missions. En qualité de président de la commission électorale nationale indépendante (CENI) rappelle-t-il, ‘’il a organisé une élection contestée par beaucoup de partenaires politiques dans un contexte de troisième mandat ce qui fait de lui un acteur clé de la crise burundaise qui a éclaté en 2015.’’
Ndayicariye perdra également sa crédibilité, ajoute le Délégué Général du Forum pour le Renforcement de la Société Civile, avec l’organisation du référendum constitutionnel en mai 2018 qui a enterré les accords d’Arusha, base de la cohésion sociale et la stabilité au Burundi. Une activité qui a précédée de quelques mois sa nomination à la tête de la CVR en pleine crise politico-sécuritaire liée au troisième mandat de feu Pierre Nkurunziza.
La CVR reprochée de partialité et de manipulation des informations reçues
Emery Kameya, président de la Diaspora Burundaise de Belgique affirme que la CVR à travers ses actes a démontré qu’il ne veut pas vraiment découvrir la vérité. ‘’La CVR n’écoute pas une partie de la population burundaise’’, dénonce Emery Kameya qui ajoute qu’ils n’ont trouvé aucun intérêt à répondre aux activités organisées par la CVR le mois dernier de juin à Bruxelles car ‘’ la CVR transforme certains témoignages en les façonnant à sa guise.’’
Une délégation de la CVR a rencontré du 28 juin au 1er juillet cette année des burundais à Bruxelles pour leur parler de sa mission, des résultats atteints et recueillir des témoignages de burundais.
La CVR devra expliquer comment elle a pu identifier les restes des Hutus
Louis-Marie Nindorera, expert en justice transitionnelle critique le travail de la CVR fait sans expertises requises et outils nécessaires. Dans son rapport décrié de 2021, la CVR dit avoir déjà exhumé 19 897 victimes confirmées de la crise de 1972.
Pour lui, ‘’ La CVR devra expliquer aux burundais sur base de quoi ils ont affirmé qu’un tel reste est d’un Hutu qui a été tué en 1972 vu qu’ils ne se basent que sur des témoignages sans faire recours à aucune méthode scientifique pour confirmer ces témoignages.’’
Prévu dans les Accords d’Arusha qui ont mis fin à la guerre civile au Burundi, les scientifiques, politiques et acteurs de la société civile parlent déjà d’échec de ce projet politique dont le but est de faire connaitre la vérité sur le passé du Burundi et réconcilier les burundais. Pour eux, ce projet politique a été détourné par le régime CNDD-FDD et le travail tel qu’accompli risque d’attiser la haine ethnique et déchirer de nouveau la société burundaise.
Les 19 signataires du communiqué conjoint, les politiciens que nous avons fait réagir, la diaspora burundaise de la Belgique et les scientifiques tous appellent à la suspension de l’actuelle CVR pour relancer une CVR conforme à l’esprit d’Arusha quand le Burundi aura sorti de la crise en cours dans un contexte favorable pour tous les burundais.