Société pétrolière publique, une solution au problème récurrent de manque de carburant?
Le Gouvernement se prépare à créer une société nationale pétrolière. Annoncé d’abord par le Président de la République, quelques jours après, le conseil des ministres a adopté ce projet de création d’un organe public chargé de centraliser les approvisionnements du pays. Une nouvelle tentative de solution au problème de rupture de stock du carburant qui risque d’échouer, analyse l’économiste André Nikwigize.
« Ne dites plus que le problème de manque de carburant est dû à une mauvaise gouvernance du pays », a déclaré le Président Evariste Ndayishimiye au cours de l’émission publique du 29 décembre dernier. « Des gens ont vidé les caisses du pays, ils demandaient des devises à la BRB (Banque de la République du Burundi) soi-disant pour faire des importations mais ils ne l’ont pas tous fait. Nous avons calculé entre 2019 et 2021, 48 millions de dollars ont été débloqués mais ces importateurs n’ont rien importé. »
Pour le Président Ndayishimiye, le manque de devises est la seule raison à l’origine de la situation, contrairement aux différentes raisons avancées de temps à autres par les autorités chargées de l’importation et de la vente du carburant, « Ça nous prendra beaucoup d’années pour reconstituer les réserves. D’où les gymnastiques que nous faisons, nous importons du carburant qui couvrira seulement deux semaines, et dans l’entre temps nous cherchons les fonds qui nous permettrons d’importer encore après ces deux semaines. »
Depuis l’éclatement de la crise politique en 2015, le problème de manque de carburant n’a cessé de s’aggraver. Le pays connait sans cesse de périodes de pénurie, entrainant de lourdes conséquences du jour au lendemain. A la tête du pays depuis juin 2020, il y a déjà plus d’une année, le Président Evariste Ndayishimiye avait promis aux Burundais de résoudre définitivement ce problème, annonçant « prendre en ses propres mains la situation. »
Jadis faite par des sociétés privées, l’importation du carburant a été confiée par le Président Ndayishimiye, au cours du deuxième semestre de l’année 2022, à la REGIDESO, la société publique de production et de distribution d’eau et d’électricité.
Au lieu d’une amélioration à laquelle on s’attendait, la situation n’a cessé par contre de s’empirer. Les durées de pénurie se sont allongées, les conséquences devenant encore plus grave jusqu’à voir le déplacement des gens assuré, dans la capitale économique Bujumbura, par des camions de transport de matériaux de construction.
Après peut-être ce constat d’échec, le Chef de l’Etat songe à changer le fusil d’épaule en proposant une autre solution. « Nous allons créer une société qui ne sera chargée que de l’importation du carburant, toutes les autres sociétés s’approvisionneront dans cette société. Nous y travaillons déjà et pourrons même avoir des partenaires qui nous fournirons à crédit. » A annoncé le Président Ndayishimiye reprochant aux privées de « faire du chantage, de ne pas importer le carburant afin d’exiger des hausses des prix. »
Cette société sera à 100 % public, se sont convenus les membres du Gouvernement. Le communiqué du conseil des ministres tenu en date du 03 de ce mois de janvier précise que la société pétrolière sera chargée de la coordination de l’importation, du transport, du stockage, de la distribution, de la commercialisation et de la réexportation des produits pétroliers, gaziers et de leurs dérivés.
La création d’une société pétrolière publique, solution à ne pas recommander
André Nikwigize, ancien Conseiller économique principal en charge des programmes auprès du Secrétaire Général des Nations-Unies insiste sur le fait que le nœud du problème de manque de carburant au Burundi est l’indisponibilité des devises étrangères et leur gestion. « Avec la rareté de devises, qui ne couvrent plus que deux semaines d’importation, il s’est développé une gestion clientéliste, les sociétés proches du pouvoir ou de certains dirigeants, ayant la priorité d’accès aux devises. » Déplore Mr Nikwigize.
En plus de ces difficultés financières, André Nikwize mentionne la perturbation de l’organisation existante du secteur pétrolier sous prétexte d’inaction des entreprises privées (expérimentées et dotées de moyens logistiques suffisants, au Burundi et en Tanzanie) et de fraudes. Selon l’expert Nikwigize, le gouvernement a empiré la situation déjà difficile en favorisant la venue sur le marché pétrolier, d’une nouvelle société privée, « Prestige », sans expérience du secteur, sans moyens logistiques, bénéficiant des facilités de crédits et de devises auprès de la Banque Centrale et, fin des fins, en confiant la fonction d’approvisionnement du carburant à la REGIDESO, sans aucune expérience également dans le secteur pétrolier, et dont le rôle dans le secteur pétrolier « est flou. »
L’expert économiste rappelle que les canaux d’importation, que ce soit le carburant ou d’autres produits, sont connus et limpides et ne fait aucune place à la fraude. Evoquer le détournement des devises par des importateurs pour expliquer les ruptures répétitives des stocks de carburant, comme le président Ndayishimye l’a fait, relève d’un manque de réalisme. « Les opérations d’importation et de transport de marchandises (carburant ou autres) se font au travers des banques, et c’est facile de retracer les circuits d’importation. Affirmer qu’il y a des commerçants à qui la Banque Centrale a octroyé des devises pour importer et qui ont détourné l’argent est, tout simplement, irréaliste, à moins d’une complicité avec les agents de l’administration. » Explique André Nikwigize.
Mr Nikwigize recommande au Gouvernement d’approfondir la réflexion avant de créer une nouvelle entreprise publique, au moment où l’Etat s’est engagé, avec les institutions internationales, dans un programme large de réformes macroéconomiques, avec des objectifs de restrictions budgétaires. Il faut plutôt « améliorer la gestion des ressources en devises, coordonner les activités des entreprises privées importatrices des produits pétroliers, et améliorer la gouvernance économique. »