Alerte sur l’école au Burundi : des réformes sans effet face à la crise des effectifs
Malgré des réformes ambitieuses et l’appui de partenaires internationaux, le système éducatif burundais fait face à une crise profonde. Manque d’enseignants, infrastructures délabrées, matériel insuffisant et taux d’abandon scolaire en hausse menacent la formation des générations futures et le développement du pays.
Depuis la gratuité des frais scolaires en 2005 et la réforme de 2013 généralisant l’accès à l’école fondamentale, le nombre d’élèves a explosé au Burundi. Entre 2018 et 2023, près de 70 000 enfants supplémentaires ont rejoint le préscolaire, plus de 354 000 l’école fondamentale et plus de 25 000 l’université. Cette croissance a mis à rude épreuve des infrastructures déjà fragiles. Dans certaines provinces, le ratio élèves/salle de classe dépasse largement la norme de l’UNESCO, atteignant jusqu’à 78 à Karusi et parfois 150 élèves par salle à Bujumbura. Beaucoup d’écoles, construites sans normes, sont vulnérables aux intempéries et nécessitent une réhabilitation urgente. Le déficit en mobilier scolaire est alarmant : au préscolaire, trois à huit enfants partagent un banc ; au fondamental, cinq à six élèves, certains étant même contraints de s’asseoir par terre. À la rentrée 2023-2024, il manquait près de 797 000 banc-pupitres et plus de 16 000 salles de classe pour près de trois millions d’élèves du fondamental.
Pénurie d’enseignants et fuite des compétences
Le manque criant d’enseignants fragilise l’ensemble du système éducatif, du fondamental au supérieur. La norme de l’UNESCO recommande un ratio de 46 élèves par enseignant, mais ce seuil est largement dépassé. Dans certaines écoles, un seul enseignant gère parfois une centaine d’élèves, prenant en charge plusieurs groupes pédagogiques et travaillant bien au-delà de la charge réglementaire. Le redéploiement des enseignants en 2017 a aggravé la démotivation, l’absentéisme et les retards. Les départs à la retraite non anticipés laissent de nombreuses classes sans encadrement. Pour pallier ce déficit, le recours aux vacataires et bénévoles s’est généralisé, représentant désormais près de 16 % du corps enseignant, mais sans garantie de stabilité ni de qualité. La fuite des enseignants vers d’autres secteurs ou à l’étranger, motivée par de faibles salaires et de mauvaises conditions de travail, accentue la crise. À l’Université du Burundi, 118 membres du personnel académique ont démissionné entre 2020 et 2024, et des dizaines de médecins ont quitté les hôpitaux de Bujumbura pour l’étranger.
Programmes allégés et compétences en baisse
Les réformes récentes ont introduit l’anglais et le kiswahili dans les programmes, tout en regroupant l’éducation civique, l’histoire et la géographie sous l’intitulé de sciences humaines. Cette diversification s’est faite au détriment des matières fondamentales : les heures de français et de mathématiques ont été réduites, passant de 4 à 5 heures par semaine à seulement 2 à 4 heures selon les niveaux. Entre la 7ᵉ et la 9ᵉ année, la baisse est encore plus marquée, ce qui a entraîné une diminution du niveau général des élèves, notamment en expression orale et écrite en français. La condensation des enseignements (notamment la suppression de la 10ᵉ année du secondaire) a également conduit à la suppression de chapitres entiers, en particulier dans les matières linguistiques. Le temps scolaire effectif reste bien en deçà de la norme UNESCO de 1 050 heures par an, avec seulement 651 heures le matin et 606 heures l’après-midi, un temps encore réduit par la fréquence des événements et cérémonies officielles. Les failles du cadre réglementaire sur l’évaluation et le passage de classe permettent à certains élèves d’accéder au niveau supérieur sans avoir acquis les connaissances requises.
Décrochage scolaire : une hémorragie inquiétante
Les mauvaises conditions d’apprentissage, la pauvreté, la démotivation et la précarité familiale contribuent à une hausse alarmante du décrochage scolaire. En 2023-2024, le taux d’abandon scolaire a atteint 26,5 %, soit près de 200 000 élèves déscolarisés chaque année. Ce phénomène touche aussi l’enseignement supérieur, où les étudiants issus de milieux ruraux défavorisés abandonnent massivement.
Face à cette crise, des réformes sont à l’étude. Un groupe d’experts a recommandé la réintroduction de la 10ᵉ année du secondaire pour augmenter le volume horaire, augmentation des heures de cours, suppression de certaines sections pour rationaliser le curriculum, renforcement de la formation des enseignants et recrutement massif de nouveaux enseignants sur les trois prochaines années.
Le ministère de l’Éducation nationale insiste sur la nécessité d’aligner ces réformes avec la vision nationale de développement à l’horizon 2040-2060, afin de garantir à chaque enfant burundais une éducation de qualité, adaptée aux exigences du monde contemporain.