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Interview exclusive avec le Rapporteur Zongo : « Il est urgent et nécessaire d’éviter de nouvelles tensions pour ne pas se retrouver dans une situation de réaction »

 Interview exclusive avec le Rapporteur  Zongo : « Il est urgent et nécessaire  d’éviter de nouvelles tensions pour ne pas se retrouver dans  une situation de réaction »

En octobre dernier, les Etats membres du Conseil des Droits de l’Homme ont voté pour le renouvellement du  mandat du  Rapporteur Spécial des Nations-Unies sur la situation des droits de l'homme au Burundi. Son dernier rapport, présenté en septembre dernier, tient lieu explique-t-il, d’alerte précoce sur un risque de nouvelles tensions au Burundi en cette période électorale. Le cadre de l’ONU estime  plus qu’urgent la nécessité d’éviter ces risques qui s’accroissent au fur et à mesure que l’on se rapproche des élections.

Quatre mois se sont déjà écoulés après la fin de la période couverte  par votre  dernier rapport. Qu'en est-il aujourd'hui ? Décrivez-nous la situation des droits de l'homme au Burundi.

Le rapport qui a couvert la période 2023-2024 mettait  en exergue plusieurs situations qui n'étaient déjà pas nouvelles, mais avec cette donne que l'année 2024 était une année préélectorale. Le pays aura des élections aussi bien en 2025 qu’en 2027. C'est un des outils  développés par les Nations-Unies que j'ai utilisé pour analyser les risques que  pouvaient  donc encourir les Burundais  pendant cette période pré-électorale et post-électorale. Ce que l'on peut dire de manière caractéristique, c'est que nous sommes dans une période préélectorale et à ce titre-là, les droits qui doivent être mis sous surveillance de manière particulière sont les droits pour exercer le suffrage. Et pour moi, la première question qui se pose, c'est l'enrôlement des citoyens sur les listes électorales. On a constaté aussi  que le parti principal, qui est le CNDD-FDD,  avait  au départ demandé des contributions volontaires à ses militants. Une activité qui a été étendue par le gouvernement, à l'ensemble du pays. Ça pose des questions en ce qui concerne le caractère libre de cette activité. En dehors de ça, nous avons, çà et là, quelques cas  des violations qui sont comme constats : la liberté d'expression, les découvertes de corps, on a aussi Sandra Muhoza qui est toujours en détention.

Votre rapport vous tient lieu d'alerte précoce. À combien sur dix évaluez-vous la nécessité et l'urgence d’une action pour éviter l'apparition de nouvelles tensions au Burundi?

Je dirais qu'en fait pour éviter un risque, il faut aller au maximum. Alors de ce point de vue, je dirais entre 7 et 9 sur dix. Parce que le problème ce n'est pas dire qu'il faut un mécanisme ou pas, il faut éviter simplement des violations. Et le risque est de plus en plus grand, plus on va avancer vers les élections, plus les risques seront plus grands. Le Burundi accorde, selon les termes de son président, un intérêt particulier au respect  des droits de l'homme, du coup, il vaut mieux éviter que de laisser arriver dans une situation de réaction.

Dans votre rapport, M. le rapporteur, on voit qu'en plus de la situation interne, vous avez travaillé sur la situation des réfugiés burundais. Et lors de la présentation de votre rapport, Gitega vous a reproché de dépasser votre mandat. Qu'en dites-vous?

Le Conseil des droits de l'homme, en édictant la résolution qui met en place le mandat, met au centre de l'activité les Burundais. Alors si d'une part les autorités me reprochent de dépasser le mandat, j'en suis ravi et je suis en tout cas satisfait de cette réponse-là parce que, du moins au final, ils reconnaissent donc le mandat pour une fois. Ça, c'est la première chose.  Ensuite, la question principale c’est que  la crise a débuté il y a 10 ans maintenant et moins de la moitié des réfugiés sont rentrés. Que faut-il faire? Est-ce qu'il faut ne pas  parler des droits de ces  personnes réfugiées qui ont besoin de rentrer chez eux et de contribuer donc au développement de leur pays? Comment préparer  de manière sereine  un retour  annoncé et voulu par les autorités? Et pour moi, de ce point de vue-là, on ne pouvait pas ne pas s’intéresser à la question. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle je suis déjà allé en Belgique pour rencontrer des réfugiés, au Canada pour rencontrer des réfugiés. Pourquoi pas au Rwanda pour les rencontrer aussi? Ou bien, c'est parce qu'en fait, il y a une tension actuelle entre le Rwanda et le Burundi qu'il  ne faut pas se préoccuper de la question des Burundais  qui y  sont comme réfugiés ? Moi, je suis prêt à aller partout où il y aura des réfugiés pour voir comment ils  vivent, toute la dignité dans laquelle ils sont, recueillir leurs préoccupations et faire des observations sur la meilleure manière de revenir donc au Burundi.

Vous dites un rapatriement  volontaire des réfugiés, mais ce n'est pas le cas pour les Burundais réfugiés en Tanzanie. Ils sont sous pression, ils ont un deadline qu'ils doivent quitter le territoire tanzanien avant la fin de cette année 2024. Que dites-vous de cette situation ?

C'est vrai que nous avons eu cette information. Nous avons écrit à l'État tanzanien qui nous a répondu en donnant des raisons. Nous suivons la situation et nous posons  le principe qui  est toujours le retour volontaire des réfugiés. Nous attendons et nous allons  proposer des solutions alternatives à un rapatriement forcé  de réfugiés.

Pouvez- vous nous en dire un peu plus ? Vous avez écrit au gouvernement tanzanien et il vous a répondu…

Pour ma part, je n'ai rien d'officiel. Donc, je ne peux pas vous dire qu'il y a un deadline ou pas. Mais nous savons qu'il y a une pression, une menace sur ces réfugiés. Et nous travaillons sur la meilleure façon de préparer un retour volontaire. Du coup, on ne peut pas vous dire que ce deadline qui est officieux puisse être mis en œuvre. Et nous ne voyons pas vraiment comment ces réfugiés peuvent rentrer immédiatement au Burundi d'ici le 31 décembre 2024.

Revenons sur votre rapport. Dans vos recommandations, vous appelez la communauté internationale, ‘’ à orienter les appuis apportés au Burundi pour qu'ils permettent l'obtention des résultats tangibles en matière des droits de l'homme. ‘’ Pouvez-vous être plus clair et compter ?

En réalité, les droits de l'homme couvrent aussi bien les aspects politiques, les aspects civils, les aspects économiques et autres. Du coup, c'est un appel à la communauté internationale de reprendre l'aide au Burundi dans tous les domaines. Il y a des domaines de priorités tels que la femme, l'éducation, la santé, le travail ou le logement. Il ne faut pas seulement voir les droits de l'homme dans l'accès aux droits civils et politiques. Et pour moi, je pense que l'une des priorités pourrait être l'éducation aux droits de l'homme, qui peut être intensifiée, renforcée de telle sorte que l'ensemble des citoyens puissent être éduqués en matière de droits de l'homme, les droits de la personne, les limites de ce qu'une personne peut faire et ne peut pas faire, et renforcer en fait l’Etat pour qu’il soit fort pour prendre en charge les différentes violations des droits de l'homme, afin que ça ne devienne que du dysfonctionnement occasionnel et non pas systémique en fait des institutions de l'Etat.

Vous pensez que la situation qui prévaut aujourd'hui au pays  est due au manque de  cette éducation aux droits de l'homme ?

En réalité c'est multiforme. Il y a des aspects par exemple politiques tels que la volonté politique associée. Et ça en fait je pense que depuis la présidence de Ndayishimiye, il a affiché cette volonté, maintenant il faut la traduire  en des actes concrets. De cela, en fait, moi je pense qu'il faut qu'on puisse l'accompagner afin qu'il mette en place de véritables institutions assez fortes, des institutions comme la justice, des institutions comme la police, des institutions comme le SNR, des institutions comme l'armée, contrôler la jeunesse du parti, les Imbonerakure. Et je pense que c'est un des aspects. L'autre aspect, comme je l'ai dit, ce sont les droits économiques, sociaux et culturels, qui sont par exemple le droit à l'éducation. Donc pour moi, l'appui est multiforme et doit être centré en ce qui me concerne actuellement sur l'éducation aux droits humains, parce que c'est le droit qui permet  la mise  en œuvre des autres droits.

Pourtant  vous parlez vous-même d'une absence de volonté politique en vue de garantir le retour de l'Etat de droit, l'élargissement de l'espace civique et la tolérance affichée face à l'impunité décriée depuis 2015, je vous cite dans vos rapports…

Tout à fait, ce sont des constats en fait que j'ai repris de la commission d'enquête internationale à laquelle j'ai succédé. Et la mise en place du mandat a coïncidé plus ou moins au changement à la tête du pays et l'un des axes forts de ses interventions a été la prise en compte des droits de l'homme. Donc du coup, nous, il faut pousser  au renforcement de l'État de droit, pousser à un renforcement des différentes institutions que j'ai  citées. On ne peut pas en fait dire aussi qu'on part de zéro à quelque chose. C'est une longue évolution et nous nous inscrivons  dans cette longue évolution, nous poussons à une volonté politique plus forte.

L'éducation au respect des droits de l'homme, alors qu'il y a ce manque de volonté politique, est-ce que ça pourra changer quelque chose ou vous dites il faut travailler sur ce côté de volonté mais aussi en même temps éduquer les Burundais, les institutions à respecter les droits de l'homme?

Il faut avancer ensemble et c'est un très long processus qui en fait, à mon avis ne peut aboutir d'une manière instantanée, ce n'est pas possible. Ce qu'on veut c'est qu'en fait les annonces qui ont été faites par les chefs de l'État en matière des droits de l'homme soient par exemple mises en œuvre. En 2021 je pense qu'il y avait déjà une grâce présidentielle sur par exemple 5 000 détenus. Il y a quelques jours, il y a eu une autre grâce présidentielle qui a été accordé à 4 000 détenus. Nous sommes environ, grosso modo, à 9 000 détenus. Lorsque l'on va observer le système carcéral, on devrait  être à moins de 2000-3000 détenus dans le pays. Donc, on devrait plus avoir par exemple une surpopulation carcérale à 300-400% ou peut-être même un peu plus. En partant de ces petits points, on peut avoir des améliorations assez substantielles.

Le Burundi est depuis octobre  2023 membre du Conseil des droits de l'homme, et la qualité de membre de ce conseil s'accompagne de la responsabilité de respecter les normes élevées en matière des droits de l'homme, tant dans sa diplomatie des droits de l'homme qu'au plan interne. Et vous parlez d'absence de volonté politique en vue de garantir le retour de l'État de droit. C'est donc, selon vous, une violation délibérée par le régime CNDD-FDD des engagements de membres du Conseil des droits de l'homme ? N'est-ce pas incompatible avec cette qualité de membre et que devraient faire les autres pays membres face à cela, le conseil des  droits de l'homme qui est censé œuvrer pour le respect des droits de l'homme au monde ?

Vous avez mentionné en fait les qualités que devrait donc avoir un État lorsque donc il est membre du Conseil des droits de l'homme. Mais il faut aussi se rappeler que c'est un organe intergouvernemental et que ce sont les États qui votent leur paire  au Conseil des droits de l'homme.

Ce n’est pas contradictoire qu'un Conseil des droits de l'homme ait parmi ses membres un pays dont le gouvernement n'a pas de volonté de respecter les droits de l'homme?

Vous voyez que  parallèlement, ils ont aussi renouvelé le mandat  l'année passée. Peut-être qu'il n'y a pas de visibilité entre la volonté de mettre en œuvre les droits de l'homme et accueillir un État dans un organe intergouvernemental, il y a deux choses et que le Conseil des droits de l'homme, ou en tout cas les États, agissent en tant que tel, et purement en fonction de leurs intérêts du moment. Et je pense que ce n'est pas seulement au Conseil des droits de l'homme, il y a également le Burundi, à travers son ambassadeur et représentant permanent, qui préside donc la troisième commission au niveau de l'Assemblée générale des Nations Unies, c'est également une décision des États. Et je crois qu'il faut l'accepter, c'est le fonctionnement du système qui est comme ça. Mais ça n'empêche pas que le mandat ou en tout cas la question des droits de l'homme soit une préoccupation au niveau donc du Conseil des droits de l'homme.

N'est-ce pas paradoxale?

Cela pourrait, mais il ne joue pas les mêmes fonctions. Donc le Conseil des droits de l'homme fait des observations,  mais parallèlement le rapporteur  a le mandat de ce même Conseil, pour venir  devant ce Conseil  rendre compte de l'application des droits de l'homme. Donc du coup, cela pourrait même être un encouragement à l'État burundais à améliorer donc de manière substantielle l'application des droits de l'homme. Mais en tout état, il faut se dire que c'est une question qui relève de la souveraineté des États et en général, on ne peut en discuter en fait.

Vous revenez sur l'appel du Président Ndayishimiye en janvier 2023. Il a appelé tous ceux qui ont détourné les fonds publics de les rendre discrètement, et vous qualifiez cet appel d'aveu, d'échec de la lutte contre la corruption ; un échec d'un Président de la République. Où situez-vous les causes de cet échec, puisque le Président de la République dispose de tous les moyens pour redresser une situation? Est-ce une incapacité à faire usage des pouvoirs lui conférés par la loi fondamentale ou à faire travailler les organes du pays, ou c'est un manque carrément de volonté ?

J’ai été surpris par cette déclaration du chef de l'État. Le commentaire que l'on peut en faire c'est que, puisqu'il est au sommet de l'État, il donne le rythme et la dynamique. Il suffira donc pour les autres maillons de la chaine de tout faire pour prendre le relais. Déjà le fait qu'il y ait de la corruption, c'est quelque chose qui nuit au pays dans tous les sens, et comme il a déjà la force de demander de rembourser ou de remettre discrètement, moi je pense que quelque part  il accorde de  l'importance aussi bien à la sanction qu’à la rédemption. Mais il ne faut pas perdre de vue que si les institutions sont fortes et peuvent prendre en charge ces genres de cas, cela en fait diminuerait. Je pense que l’avènement du Président  Ndayishimiye ne mettra pas fin  fondamentalement à toutes les violations des droits de l’homme, ça sera une évolution constante et continue vers une amélioration. Il ne faut pas s'attendre à des résultats spectaculaires. Ce qu'il faut, c'est à la limite l'accompagner pour qu'il fasse du très bon travail. Mais jusque-là, en fait, entre les annonces officielles et sur le terrain, il y a souvent des disparités. J'ai fait la remarque sur la situation carcérale. La grâce de 2021 aurait pu quand même apporter un souffle à la situation carcérale, mais nous avons vu que la surpopulation a persisté. Est-ce que ça veut dire que la grâce n'a pas été exécutée, ou bien dès qu'elle a été exécutée, les prisons se sont remplies à nouveau ? Donc ce sont des questions comme ça systémique qu'il faut répondre afin qu'il y ait des résultats tangibles.

 L'appel vous a surpris, mais dites-nous où situez-vous cet échec dont vous parlez?

Les institutions de contrôle, de surveillance ne fonctionnent pas. Si c’était  le cas, il y aurait des alertes sur des situations de corruption, il y aurait des décisions fortes de justice condamnant des corrompus. Nous avons vu que même dans le domaine judiciaire, il a radié un certain nombre de magistrats. Mais en fait, en un mot, on n'a pas pu régler la question. Lui il n'a fait que constater une situation, il essaye à mon sens de donner  une ligne mais c'est tout le système qu’il faut corriger.

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